L’OBSÉDÉE DU BLANC
L’obsédée du blanc est d’une candeur immaculée et respire le linge frais. Ses doigts sont stricts et ses yeux anguleux. Depuis qu’elle est capable de penser, elle n’a jamais eu de rhume, et pourtant sa voix est un peu enrouée. Elle dit qu’elle n’a encore jamais fait un seul rêve, et on la croit sur parole.
Bien des gens viennent la trouver pour faire le plein d’ordre. On ne lui résiste pas. Elle dit peu de chose, mais ce qu’elle dit est aussi digne de foi que toute une Église. Il n’est pas établi qu’elle prie, elle est à elle seule sa propre Église. Quand elle célèbre la blancheur immaculée, on est écrasé de honte d’avoir si longtemps vécu dans la crasse. À côté d’elle, tout fait sale, à quoi bon le nier. Elle ouvre tout grands ses yeux anguleux, sans le moindre trouble, elle les pose sur vous, et l’on sent comme une lueur qui vient de l’intérieur. Tout se passe alors comme si l’on portait en soi toutes les nappes qui l’obsèdent, strictement pliées, jamais étalées, en un tas d’une blancheur immaculée, pour toujours, pour toujours.
Mais elle n’est jamais entièrement satisfaite, car elle trouve des taches même sur ses blancheurs. Il faut la voir, quand, subitement, elle a un haut-le-corps, parce qu’elle a aperçu un point minuscule. Elle devient alors dangereuse comme un serpent venimeux. Elle ouvre la bouche et montre de terribles crocs à venin. Elle émet un sifflement avant de frapper, malheur à la minuscule tache. Il est arrivé que, de peur, elle disparaisse, et que l’autre la cherche ensuite obstinément pendant des heures. Mais il arrive aussi qu’elle ne disparaisse pas. C’est alors un ouragan qui se déchaîne. Elle attrape la pièce de blanc, elle ne l’attrape pas seule, elle l’attrape en même temps que vingt autres empilées l’une sur l’autre, et se met à relaver sur-le-champ toute la pile.
En de pareils moments, il est indiqué de la laisser seule, car sa rage ne connaît plus de bornes. Tout ce qui lui tombe sous la main est lavé avec le reste, tables, chaises, lits, bêtes et gens. Alors c’est comme au Jugement dernier. Rien ne trouve grâce devant ses yeux anguleux. Alors, il y a eu des cas de bêtes et de gens lavés à mort. Alors, c’est comme avant la création des êtres animés. Alors, c’est la séparation de la lumière et des ténèbres. Alors, pour la suite, Dieu n’est plus sûr de son affaire.